« Il y a eu un alignement des planètes » : la députée Isabelle Santiago revient sur le vote de sa loi instaurant un seuil de non-consentement

 

Il était une loi 5/6

À quelques jours des législatives, Causette donne la parole à des député·es qui ont porté des lois marquantes au cours du dernier quinquennat. Ce mercredi, c’est au tour de la députée PS Isabelle Santiago, élue lors des législatives partielles en septembre 2020, de revenir sur ses dix-huit mois de mandat. Une période courte mais intense au cours de laquelle elle a fait voter la loi instaurant un seuil de non-consentement pour mieux protéger les mineur·es victimes de violences sexuelles. 

 

Causette :  Vous avez été élue à l’Assemblée en septembre 2020 à la suite d’élections partielles. Quel bilan faites-vous de vos dix-huit mois de mandat ?
Isabelle Santiago : C’était très intense. Dix-huit mois c’est assez court, ce qui fait que j’ai une vision assez différente de la députation, je pense, qu’un parlementaire qui a fait cinq ans. C’est passé très vite mais j’ai pris l’Assemblée tout de suite à bras le corps avec beaucoup de détermination et j’ai eu la chance de pouvoir porter des textes sur la protection de l’enfance qui est le cœur de mon action de politique publique depuis une vingtaine d’années. J’ai participé à la prise de conscience de l’inceste dans la société et ne serait-ce que ça, je me dis que c’est déjà historique d’avoir pu le faire et le vivre en tant que « jeune » députée. Être au milieu d’un débat d’actualité majeur comme celui du seuil d’âge de non-consentement et pouvoir contribuer à faire changer les choses, c’était une expérience extraordinaire.

Vous arrivez au Palais bourbon en septembre 2020, en décembre vous déposez une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineur·es victimes de violences sexuelles en instaurant notamment un seuil d’âge de non-consentement à quinze ans, dix-huit en cas d’inceste. Trois mois c’est très court pour monter un texte et le proposer. 
I.S. : Oui, c’est même complètement inédit mais je m’étais dit direct « j’arrive, je fonce ! ». La première raison, c’est que lorsque j’arrive à l’Assemblée, je suis une des seules députées avec dix ans d’expérience en tant que vice-présidente chargée de la protection de l’enfance dans le département du Val-de-Marne. Grâce à cela, j’avais la chance d’être consciente de tous les dysfonctionnements autour de la question de la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. L’une des choses qui me choquait le plus c’était de voir que l’inceste était encore très tabou et que personne n’en parlait à l’époque. Ça me révoltait.
L’autre raison c’est que la France était l’un des rares pays d’Europe à ne pas avoir fixé de seuil d’âge dans la loi. Dans les procès, on cherchait à savoir si des fillettes n’étaient pas consentantes pour avoir des relations avec des adultes. Je voulais absolument changer cela. J’en ai fait un combat, pas personnel, mais d’intérêt national. Je considérais que c’était mon rôle de le porter au plus haut niveau, parce que je maîtrisais le sujet. J’ai écrit le texte en octobre. Début décembre, il était déposé.

Votre proposition de loi intervient quelques semaines avant la publication de La Familia Grande de Camille Kouchner dans laquelle elle accuse son beau-père, le politiste Olivier Duhamel, d’avoir infligé des violences sexuelles à son frère. 
I.S. : En effet. Il y a eu un alignement des planètes ou bien j’ai eu la chance du débutant. En tout cas, tout s’est parfaitement imbriqué. Mon texte a été déposé peu avant la sortie du livre de Camille Kouchner que je ne connaissais absolument pas mais qui est venu surenchérir une situation que je décriais à travers ma proposition de loi. Puis le #Metoo inceste a suivi et la société s’est rendue compte de l’ampleur de ce qu’est l’inceste.
Il faut aussi ajouter que mon texte est déposé peu avant la niche parlementaire du PS, ce qui a permis de l’examiner très rapidement. C’est une belle histoire de circonstances.

 

Pourtant, l’affaire se complique rapidement car devant l’émotion suscitée par les révélations en cascade sur l’inceste, le gouvernement s’empare à son tour du sujet. Votre texte connaît plusieurs péripéties avant d’être finalement adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 février dernier. 
I.S. : J’ai découvert les petites politiques politiciennes et la violence de l’Assemblée à ce moment. À la commission des lois début février, Alexandra Louis, alors députée de la majorité, impose en effet son texte qu’elle a déposé deux jours avant. Mon texte est alors largement modifié par 208 amendements venant pour la majorité du groupe LREM. Comme les députés LREM sont majoritaires, ils peuvent faire basculer dans mon texte, leur texte à eux. Et c’est ce qui se produit. Quand nous arrivons en séance à l’Assemblée nationale une semaine plus tard, je fais un discours pour décrire ce que j’ai appelé « la stratégie du coucou »*. À l’article 1, je dépose un amendement pour qu’on reprenne le texte que j’avais déposé en décembre. Et c’est là que c’est historique et assez exceptionnel : une grande majorité des députés votent pour, ce qui fait rebasculer mon texte initial. Les députés de la majorité ont abusé de tous les subterfuges, mais mon texte a quand même été adopté le 18 février.

Cette proposition de loi est-elle le moment le plus « fou » que vous ayez vécu dans votre députation ? 
I.S. : Oui, tout à fait. Il faut se remettre dans le contexte : à ce moment-là je viens de débarquer, je ne suis pas du tout capée. Certains députés sont là depuis cinq ans mais n’ont jamais défendu un texte de loi, c’est assez exceptionnel. J’arrivais, tout était nouveau, je ne connaissais pas les coutumes, les codes, j’ai eu une découverte de l’Assemblée en accéléré.

 

Justement, est-ce que ce n’était pas trop difficile d’arriver en cours de quinquennat ?
 I.S : Au début je ne comprenais rien et j’avais l’impression d’être prise dans une lessiveuse. Je n’avais pas d’adresse mail, pas d’ordi, pas de collaborateurs, je devais tout faire un peu toute seule. Ce n’est pas du tout la manière dont ça se passe pour les députés quand ils arrivent en début de mandat dans une nouvelle législature, ils sont pris en charge, tout est organisé pour eux. Moi je courais dans les bureaux pour m’organiser. J’avais, par chance, une bonne connaissance des politiques mais j’ai quand même dû mettre un mois à m’installer et à comprendre le fonctionnement de la vie administrative de l’Assemblée. Et le problème, c’est qu’on est rattrapé par une actualité très riche. On nous met sur des dossiers très importants sur lesquels on n’a pas forcément de recul comme on n’a pas encore commencé à échanger.

Quelques regrets en cette fin de mandat ? 
I.S : C’est passé trop vite ! Il y a des combats sur lesquels je n’ai pas pu faire avancer les choses. J’ai déposé une proposition de loi sur l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes de 18–25 ans qui sont aujourd’hui mis à la rue par l’ASE à leur majorité. Je souhaitais mettre en place des contrats majeurs jusqu’à 25 ans afin d’offrir un rattachement à ces jeunes mais je n’ai pas eu le temps de la porter ni en séance, ni en commission des lois. Malgré tout, Adrien Taquet a pris cinq amendements venant de mon texte dont la tranche d’âge 18–21 ans (La loi du 7 février 2022 portée par le secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles garantit un accompagnement pour les 18–21 ans par les départements et l’État, ndlr). C’est déjà un compromis et une avancée. Mais regret n’est pas le mot adapté car ce texte, je compte bien le défendre un jour à l’Assemblée.

Vous vous représentez en effet dans votre 9eme circo du Val-de-Marne. Ce sera l’un de vos prochains axes de travail si vous êtes réélue dans quelques jours ?
I.S. : Oui, avec les violences faites aux enfants liées aux violences intrafamiliales. Il y a tellement à faire sur ce sujet. L’autre grand projet sera l’autisme. Il faut absolument ouvrir des places d’IME (Instituts médico éducatifs, ndlr), mieux former les AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap, ndlr) à l’autisme quand les enfants sont dans des écoles inclusives. En règle générale sur le plan du handicap, il reste beaucoup à faire, la France est très en retard. J’aimerais qu’on devienne un pays où on met l’enfance et la jeunesse en priorité. Ces sujets nous concernent tous : on parle de milliers d’enfants, ce qui est loin d’être anecdotique.

 

 

*La stratégie dite « du coucou » s’inspire du coucou qui abuse les autres oiseaux en pondant dans leur nid pour leur faire couver ses propres œufs puis nourrir ses propres oisillons.