Avec les députés socialistes membres de la commission de la Défense, nous avons publié une tribune dans Le Monde pour définir l’approche socialiste de la loi de programmation militaire : Loi de programmation militaire : « Nous regrettons le manque de cohérence de certains choix stratégiques » (lemonde.fr)

 

Loi de programmation militaire : « Nous regrettons le manque de cohérence de certains choix stratégiques »

Collectif

 

La LPM 2024-2030, actuellement débattue au Parlement, n’offre pas à la France des moyens à la hauteur de ses ambitions, préviennent dans une tribune au « Monde » quatre députées socialistes et membres de la commission de la défense nationale et des forces armées.

La guerre en Ukraine marque le retour des conflits de haute intensité sur le continent européen, avec l’intervention directe d’une grande puissance nucléaire. L’agression russe est un défi pour les Ukrainiens en premier lieu, mais aussi pour l’Europe et corollairement la France. Elle tend les chaînes logistiques, chamboule les alliances et renforce les logiques de blocs avec la revitalisation de l’OTAN.

Dans ce contexte, la loi de programmation (LPM) 2024-2030 actuellement débattue au Parlement aurait dû être l’occasion de poser des axes stratégiques, tirant les leçons du conflit lui-même comme de ses conséquences sur l’ordre international, et sur la place et le rôle de la France. Las, la LPM n’affiche pas de stratégie suffisamment claire ou, en tout état de cause, pas des moyens cohérents avec la stratégie affichée.

Des restes à payer

Sur le plan budgétaire, le gouvernement propose de consacrer 413 milliards d’euros à la défense d’ici à 2030. C’est certes conséquent. Mais la trajectoire présentée souffre d’incohérences. Ainsi, elle reporte après 2027, soit au-delà des prochaines échéances politiques, la plupart des efforts budgétaires annoncés. Conséquence : la France n’atteindra pas avant 2027 les 2 % du produit intérieur brut (PIB) consacrés à l’effort de défense, objectif que la France s’est fixé depuis 2013, sans jamais y être parvenue à ce jour.

Enfin, le gouvernement ne dit rien des restes à payer, évalués par la Cour des comptes à fin 2022 à « 20 % de l’effort budgétaire » de la présente LPM. Concrètement, cela signifierait que plus de 80 milliards des 413 milliards d’euros annoncés pourraient en réalité servir à financer non pas des nouveaux investissements, mais des investissements engagés dans le passé.

Au-delà de ces considérations, nous regrettons le manque de cohérence de certains choix stratégiques.

Alors que l’un des enjeux réside dans la capacité de notre armée à faire face à des affrontements de haute intensité, certains régiments dits de « mêlée » (chars, infanterie) sont démembrés au profit d’un renforcement des forces dites de « soutien », comme la lutte cyber et le renseignement. La France pourrait-elle demain s’engager dans un conflit de haute intensité avec ce modèle d’armée, sans l’aide et le soutien de ses alliés ?

Faire ces choix nécessite d’avoir un débat transparent sur les dangers qui menacent la France. Il semble que le gouvernement considère que celui du combat au sol n’est pas le plus imminent. Dès lors, pourquoi justifier les efforts financiers par le retour des conflits de haute intensité ?

Déficit de fidélisation

La LPM n’apporte ensuite pas de vision claire sur le renforcement de nos partenariats et de nos alliances stratégiques, tant sur le plan de l’interopérabilité que sur celui de la base industrielle et technologique de défense (BITD) [l’écosystème français de l’armement, qui compte près de 4 000 entreprises].

L’Etat n’est d’ailleurs pas au rendez-vous s’agissant de cette dernière. Alors qu’il leur est demandé de faire preuve de souplesse et de flexibilité, nos industriels ne bénéficient que de peu de marqueurs de confiance, d’aucun engagement ferme et de long terme de la part de l’Etat, condition pourtant indispensable à son fonctionnement et à la mise à niveau des chaînes de production nécessaires à « l’agilité » d’une « économie de guerre ».

Nos armées souffrent également d’un déficit de fidélisation, dû aux évolutions sociétales du monde du travail. Ce désaveu est en partie lié aux conditions de vie de nos militaires, qui réclament, entre autres, une rénovation du parc immobilier. Elle est aussi liée aux dégradations des conditions de la préparation opérationnelle (manque de munitions, accès aux appareils, espace d’entraînement…) et à la multiplication de missions qui s’éloignent du sens de leur engagement (« Sentinelle », service national universel, etc.).

Plutôt que de poursuivre l’externalisation de nos services, l’effort doit être recentré autour de ces enjeux, en poursuivant la féminisation de nos armées, en améliorant le plan famille, en rééquilibrant la rémunération entre indiciaire et indemnitaire, en offrant aussi les bénéfices de cet engagement à ceux qui, civils ou militaires, veulent faire carrière.

Des moyens de s’entraîner

Si la France souhaite être cette « nation-cadre » [c’est-à-dire assurer le commandement d’un exercice d’état-major à l’échelle européenne dans le cadre de l’OTAN], alors nos forces doivent disposer des moyens de s’entraîner, entre elles d’abord, mais aussi de coopérer et d’être interopérables avec nos alliés. L’exercice « Orion » ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : nos aviateurs ne volent pas assez, tout comme nos marins ne naviguent pas suffisamment. Nous ne sommes, à cet égard, pas encore à la hauteur des standards opérationnels « otaniens ».

Si la France souhaite être cette nation-cadre, alors elle doit en outre se doter d’un Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, pour que parlementaires et membres de la société civile participent à une véritable réflexion et construction d’une politique cohérente de défense. Voilà une manière de faire vivre la cohésion nationale tant recherchée par le gouvernement.

A l’image de ce qui se fait dans d’autres Parlements en Europe et ailleurs, il faut sortir du « domaine réservé », construire des débats éclairés en matière de défense de façon régulière, et renforcer le rôle des parlementaires. Voilà qui construira un lien armée-nation solide, à l’inverse du coûteux projet de généralisation du service national universel.

A cette demande légitime, le ministre [des armées, Sébastien Lecornu] rétorque sans sourciller qu’elle n’a pas lieu d’être, car « il n’y a pas de rupture majeure de notre modèle de défense », ce à quoi nous répondons : la LPM vise-t-elle à préparer notre pays aux menaces qui s’annoncent, ou à offrir un mode d’emploi de nos armées ? La question reste à trancher.

Signataires : Anna Pic, députée (PS) de la Manche, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées ; Valérie Rabault, députée (PS) de Tarn-et-Garonne, vice-présidente de l’Assemblée nationale, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées ; Isabelle Santiago, députée (PS) du Val-de-Marne, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées ; Mélanie Thomin, députée (PS) du Finistère, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées.